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269 pages, Hardcover
First published September 3, 2010
'Même dans ces conditions, se dit Jed, ils pouvaient s'attendre de la part des hôteliers à un accueil privilégié : jeune couple urbain sans enfants, esthétiquement très décoratif, encore dans la première phase de l'amour - et de ce fait prompts à s'émerveiller de tout, dans l'espoir de se constituer une réserve de beaux souvenirs qui leur serviraient au moment d'aborder les années difficiles, qui leur permettraient peut-être de surmonter une crise dans leur couple - ils représentaient, pour tout professionnel de l'hôtellerie-restauration, l'archétype des clients idéaux.'(p.92-93)
'Jed n'était pas jeune, il ne l'avait à proprement parler jamais été ; mais il était un être humain relativement inexpérimenté. En matière d'êtres humains il ne connaissait que son père, et encore pas beaucoup. Cette fréquentation ne pouvait pas l'inciter à un grand optimisme, en matière de relations humaines. Pour ce qu'il avait pu en observer, l'existence des hommes s'organisait autour du travail, qui occupait la plus grande partie de la vie, et s'accomplissait dans des organisations de dimension variable. À l'issue des années de travail s'ouvrait une période plus brève, marquée par le développement de différentes pathologies. Certains êtres humains, pensant la période la plus active de leur vie, tentaient en outre de s'associer dans des micro-regroupements, qualifiés de familles, ayant pour but la reproduction de l'espèce ; mais ces tentatives, le plus souvent, tournaient court, pour des raisons liées à la "nature des temps", se disait-il vaguement en partageant un expresso avec son amante.'(p.102-103)
'Olga était douce, elle était douce et aimante, Olga l'aimait, se répéta-t-il avec une tristesse croissante en même temps qu'il réalisait que plus rien n'aurait lieu entre eux, ne pourrait plus jamais avoir lieu entre eux, la vie vous offre une chance parfois se dit-il mais lorsqu'on est trop lâche ou trop indécis pour la saisir la vie reprend ses cartes, il y a un moment pour faire les choses et pour entrer dans un bonheur possible, ce moment dure quelques jours, parfois quelques semaines ou même quelques mois mais il ne se produit qu'une fois et une seule, et si l'on veut y revenir plus tard c'est tout simplement impossible, il n'y a plus de place pour l'enthousiasme, la croyance et la foi, demeure une résignation douce, une pitié réciproque et attristée, la sensation inutile et juste que quelque chose aurait pu avoir lieu, qu'on s'est simplement montré indigne du don qui vous avait été fait.'(p.242)
'Marqué sans doute par les idées en vogue dans sa génération, [Jasselin] avait jusque là considéré la sexualité comme une puissance positive, une source d'union qui augmentait la concorde entre les humains par les voies du plaisir partagé. Il y voyait au contraire maintenant de plus en plus souvent la lutte, le combat brutal pour la domination, l'élimination du rival et la multiplication hasardeuse des coïts sans aucune raison d'être que d'assurer une propagation maximale aux gènes. Il y voyait la source de tout conflit, de tout massacre, de toute souffrance. La sexualité lui apparaissait de plus en plus comme la manifestation la plus directe et la plus évidente du mal.'(p.293)
'En chemin vers sa galerie rue de Domrémy (...), ils s'arrêtèrent pour boire quelque chose Chez Claude, rue du Château-des-Rentiers, qui devait plus tard devenir leur café habituel, et fournir à Jed l'occasion de son deuxième tableau de la "série des métiers simples". L'établissement s'obstinait à servir des ballons de rouge ordinaire et des sandwiches pâté-cornichons aux derniers retraités "couches populaires" du XIIIe arrondissement. Ils mourraient un par un, avec méthode, sans être remplacés par de nouveaux clients.(p.109)
"J'ai lu dans un article que, depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale, 80% des cafés avaient disparu en France" remarqua Franz en jetant un coup d'œil circulaire sur l'établissement. (...) "Les gens se sont mis à déjeuner en une demi-heure, à boire de moins en moins d'alcool aussi ; et puis, le coup de grâce, ça a été l'interdiction de fumer.'
'Il savait que l'écrivain partageait son goût pour la grande distribution, la vraie distribution aimait-il à dire, que comme lui il appellait de ses vœux, dans un futur plus ou moins utopique et lointain, la fusion des différentes chaînes de magasins dans un hypermarché total, qui recouvrirait l'ensemble des besoins humains.'(p.191).