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“La monnaie est souvent mythifi茅e, con莽ue comme magique et obscure. Son ambivalence fondamentale favorise l'茅mergence dans les esprits du sentiment d'un myst猫re : le dieu monnaie est, par ses modes de cr茅ation et de gestion, 脿 la fois public et priv茅. Banques commerciales et banques centrales contribuent 脿 son apparition, 脿 son mouvement, 脿 sa destruction. Face 脿 cette ambivalence qui ne peut 锚tre 茅limin茅e, parce qu'elle exprime dans ce domaine technique la n茅cessaire dualit茅 individu-collectivit茅, la th茅orie politique classique, lib茅rale ou autoritaire, ne peut proposer que des repr茅sentations partielles. Le lib茅ralisme anglo-saxon n'arrivera jamais 脿 masquer compl猫tement l'action de l'脡tat, d茅finisseur et garant des r猫gles, acteur majeur de la gestion mon茅taire au jour le jour. Il ne peut que tenter d'oublier l'exp茅rience innommable d'un dollar 茅chappant entre 1980 et 1985 脿 toute pesanteur 茅conomique par la gr芒ce de l'脡tat. Il est frapp茅 de c茅cit茅 devant une 茅vidence majeure : les march茅s financiers, lieu d'agitation des libres individus, n'en finissent pas de sp茅culer sur les obligations d'脡tat, dont la rentabilit茅 est assur茅e par l'existence de l'imp么t, c'est-脿-dire la capacit茅 d'un 脡tat 脿 extraire de sa soci茅t茅 la richesse par un m茅canisme non marchand de contrainte. La th茅orie allemande de la monnaie ne pourra quant 脿 elle jamais imposer la r茅alit茅 d'une monnaie fixant a priori un ordre social et 茅chappant compl猫tement aux acteurs d茅centralis茅s de la vie 茅conomique. Les banques cr茅ent de la monnaie par le cr茅dit. Reste qu'au-del脿 de cette ambivalence, ind茅passable, chacune des deux traditions id茅ologiques, lib茅rale ou autoritaire, adore l'un des deux visages du Janus mon茅taire.

Au moment m锚me o霉 les 脡tats-Unis d茅finissaient une conception pragmatique mon茅taire, selon laquelle un 茅quilibre des pouvoirs doit assurer l'茅mergence d'une monnaie accompagnant les 茅volutions et rythmes naturels de la soci茅t茅, l'Europe occidentale accouchait, par 茅tapes, d'une conception radicalement oppos茅e, dominatrice, castratrice, de plus en plus souvent d茅sign茅e dans le monde anglo-saxon, par l'expression sado-mon茅tarisme. L'euro doit r茅former la soci茅t茅, mieux, cr茅er un nouveau monde europ茅en. Chacune des soci茅t茅s r茅ellement existantes, chaque nation, doit s'adapter, transfomer ses structures et ses rythmes naturels en fonction d'imp茅ratifs mon茅taires d茅cid茅es d'en-haut, a priori. Tel est le sens id茅ologique des crit猫res rigides de Maastricht et des punitions de Dublin qui fixent des r猫gles mon茅taires et budg茅taires auxquelles les individus devront se soumettre dans l'茅ternit茅. Cette monnaie autoritaire est le reflet d'un autre syst猫me de culture, fond茅 par d'autres structures anthropologiques. La conception anglo-saxonne de la monnaie refl猫te les valeurs lib茅rales de la famille nucl茅aire absolue ; la conception autoritaire du continent europ茅en les valeurs autoritaires de la famille souche. Face 脿 la monnaie, l'individu est comme face 脿 toute institution, libre ou soumis. L'茅mergence de conceptions oppos茅es de la monnaie n'est que le dernier avatar d'une opposition pluris茅culaire entre lib茅ralisme anglo-saxon et autoritarisme continental. Mais comment la France, lieu de naissance de l'une des deux grandes traditions lib茅rales, d茅contract茅e dans sa gestion mon茅taire jusqu'au d茅but des ann茅es 80, a-t-elle bien pu changer de camp, abandonner l'individualisme du monde atlantique pour suivre les disciplines de l'Europe centrale ?”
― Emmanuel Todd, L'illusion 茅conomique. Essai sur la stagnation des soci茅t茅s d茅velopp茅es