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Ainsi parlait Zarathoustra
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Ein Buch für Alle und Keinen � livre pour tous en effet, car contrairement au style scholastique et spéculatif de la philosophie allemande au XIXème siècle (voir Hegel ou Schopenhauer, entre autres), Ainsi parlait Zarathoustra est une sorte de roman à grand spectacle, avec personnages, animaux, paysages, peuples, chansons, épisodes et rebondissements. Donc un livre qui se veut accessible à tous et qui parle à tout un chacun. C’est aussi un livre pour tous car Nietzsche y lance un fervent appel au surhumain et, potentiellement, le surhumain peut advenir à plusieurs endroits et chez différents lecteurs : personne n’est a priori exclu � pourtant, hélas, ce livre est aussi tombé entre de mauvaises mains et dans de mauvaises oreilles !
Mais également livre pour personne, car l’écriture de Nietzsche est tellement allusive, stratifiée, symbolique, allégorique, ésotérique, poétique, prophétique, parodique, ironique, disparate et légèrement démente, que le lecteur inattentif risque fort de se perdre et de n’y rien comprendre. Que fait un prophète persan, ayant vécu mille ans avant l’ère chrétienne, à parler de la mort de Dieu, à rouspéter contre la canaille moderne et à discuter avec un pape hors-service ? Que désignent les termes de dernier homme, homme supérieur ou surhomme ? Que veut dire volonté de puissance ? Que vient faire l’ancienne doctrine héraclitéenne et stoïcienne de la palingénésie (circularité du temps) dans un texte philosophique écrit à l’époque de Bismarck ? Bref, il y a là de quoi être légèrement étourdi. C’est enfin un livre pour personne dans la mesure où le surhumain est une notion tellement élitiste et hors de portée du commun des mortels que, franchement, tout cela fait parfois penser à des élucubrations inspirées par un excès de cannabis.
Pourtant, pour étrange qu’elle puisse sembler, l’idée fondamentale de Nietzsche est étonnamment pénétrante quant au devenir de la civilisation occidentale. Il analysera par ailleurs (dans Par-delà le bien et le mal et Généalogie de la morale) les origines et les effets de la culture judéo-chrétienne et de ses différents ersatz. Mais ici, dans Zarathoustra, regardant vers l’avenir, il constate la déliquescence de cette religion et de cette morale et se préoccupe des multiples conséquences de ce qu’il appelle la « mort de Dieu » � préoccupation de curé défroqué, s’il en est. Pour beaucoup encore (l’ermite du Prologue, 2) cette mort est un peu comme la mort d’une étoile : la lumière de son explosion ne leur est pas encore parvenue. Pour d’autres, ils ne veulent rien savoir ; ils exigent seulement de vivre comme des pourceaux, bien roses et bien peinards (le dernier homme). D’autres encore se désespèrent de l’effondrement des valeurs qui donnaient sens à la vie : « Tout est égal, rien ne vaut la peine ! » � c’est le cri nihiliste, voire cynique, le cri schopenhauerien, le cri de détresse fondamental des hommes supérieurs (disons plutôt, supérieurement souffreteux). Tous ces personnages prennent corps dans cette grande fresque qu’est Zarathoustra.
En somme, pour Nietzsche, qui fait preuve à la fois de clairvoyance et, malgré tout, d’espoir, la perte des valeurs généralisée est un évènement calamiteux. Mais il n’est plus question de revenir en arrière : il va falloir faire avec, il va même falloir s’en réjouir. Tel Siegfried brisant et reforgeant l’épée Notung, il est désormais nécessaire que l’humanité pulvérise l’idéalisme servile chrétien et se forge un renouveau spirituel, une civilisation plus vigoureuse, plus abondante, plus héroïque. Cela suppose une nouvelle morale : les vertus d’excellence créatrices du surhomme � sans doute plus un appel à une discipline personnelle à la mode antique qu’une glorification de Conan le Barbare... Cela suppose aussi une nouvelle métaphysique : la doctrine de l’éternel retour � là encore, un concept à prendre avec un gros grain de Na. Reste à constater que cette transmutation et transfiguration que Nietzsche-Zarathoustra appelait de ses vœux n’est pas encore advenue, et n’adviendra probablement pas. Plus que jamais, le dernier homme pullule et pollue comme le puceron sur la surface de la Terre, les hommes supérieurs (intellectuels, politiciens et journalistes de toutes farines) continuent de se dégoûter et de se lamenter et, dans l’ensemble, les gros biscotos du vieux Conan sont devenus plutôt flasques. Mais bon, qui vivra verra.
Voir aussi mes remarques sur les annotations et commentaires détaillés de Pierre Héber-Suffrin, qui accompagnent la traduction de Hans Hildenbrand :
- Prologue et première partie
- Deuxième partie
- Troisième partie
- Quatrième partie
Mais également livre pour personne, car l’écriture de Nietzsche est tellement allusive, stratifiée, symbolique, allégorique, ésotérique, poétique, prophétique, parodique, ironique, disparate et légèrement démente, que le lecteur inattentif risque fort de se perdre et de n’y rien comprendre. Que fait un prophète persan, ayant vécu mille ans avant l’ère chrétienne, à parler de la mort de Dieu, à rouspéter contre la canaille moderne et à discuter avec un pape hors-service ? Que désignent les termes de dernier homme, homme supérieur ou surhomme ? Que veut dire volonté de puissance ? Que vient faire l’ancienne doctrine héraclitéenne et stoïcienne de la palingénésie (circularité du temps) dans un texte philosophique écrit à l’époque de Bismarck ? Bref, il y a là de quoi être légèrement étourdi. C’est enfin un livre pour personne dans la mesure où le surhumain est une notion tellement élitiste et hors de portée du commun des mortels que, franchement, tout cela fait parfois penser à des élucubrations inspirées par un excès de cannabis.
Pourtant, pour étrange qu’elle puisse sembler, l’idée fondamentale de Nietzsche est étonnamment pénétrante quant au devenir de la civilisation occidentale. Il analysera par ailleurs (dans Par-delà le bien et le mal et Généalogie de la morale) les origines et les effets de la culture judéo-chrétienne et de ses différents ersatz. Mais ici, dans Zarathoustra, regardant vers l’avenir, il constate la déliquescence de cette religion et de cette morale et se préoccupe des multiples conséquences de ce qu’il appelle la « mort de Dieu » � préoccupation de curé défroqué, s’il en est. Pour beaucoup encore (l’ermite du Prologue, 2) cette mort est un peu comme la mort d’une étoile : la lumière de son explosion ne leur est pas encore parvenue. Pour d’autres, ils ne veulent rien savoir ; ils exigent seulement de vivre comme des pourceaux, bien roses et bien peinards (le dernier homme). D’autres encore se désespèrent de l’effondrement des valeurs qui donnaient sens à la vie : « Tout est égal, rien ne vaut la peine ! » � c’est le cri nihiliste, voire cynique, le cri schopenhauerien, le cri de détresse fondamental des hommes supérieurs (disons plutôt, supérieurement souffreteux). Tous ces personnages prennent corps dans cette grande fresque qu’est Zarathoustra.
En somme, pour Nietzsche, qui fait preuve à la fois de clairvoyance et, malgré tout, d’espoir, la perte des valeurs généralisée est un évènement calamiteux. Mais il n’est plus question de revenir en arrière : il va falloir faire avec, il va même falloir s’en réjouir. Tel Siegfried brisant et reforgeant l’épée Notung, il est désormais nécessaire que l’humanité pulvérise l’idéalisme servile chrétien et se forge un renouveau spirituel, une civilisation plus vigoureuse, plus abondante, plus héroïque. Cela suppose une nouvelle morale : les vertus d’excellence créatrices du surhomme � sans doute plus un appel à une discipline personnelle à la mode antique qu’une glorification de Conan le Barbare... Cela suppose aussi une nouvelle métaphysique : la doctrine de l’éternel retour � là encore, un concept à prendre avec un gros grain de Na. Reste à constater que cette transmutation et transfiguration que Nietzsche-Zarathoustra appelait de ses vœux n’est pas encore advenue, et n’adviendra probablement pas. Plus que jamais, le dernier homme pullule et pollue comme le puceron sur la surface de la Terre, les hommes supérieurs (intellectuels, politiciens et journalistes de toutes farines) continuent de se dégoûter et de se lamenter et, dans l’ensemble, les gros biscotos du vieux Conan sont devenus plutôt flasques. Mais bon, qui vivra verra.
Voir aussi mes remarques sur les annotations et commentaires détaillés de Pierre Héber-Suffrin, qui accompagnent la traduction de Hans Hildenbrand :
- Prologue et première partie
- Deuxième partie
- Troisième partie
- Quatrième partie
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February 14, 2021
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August 6, 2021
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August 6, 2021
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David
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Aug 13, 2021 10:47AM

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A little bit tongue-in-cheek too, I’ll confess, but thanks so much, David, as always!

Thank you so much, Pedro. Indeed, it’s a book full of blinding sunshine and deep shadows�